Cours du colza : quelles perspectives en 2021 et au-delà ?
Après des années de vache maigre, les colzaïculteurs profitent aujourd'hui d'une conjoncture favorable. La demande de colza est forte et la réglementation limite la concurrence des alternatives à bas coût. Cette situation est appelée à durer. Le segment de la production doit en profiter et retrouver de l'allant. L'expertise de Jean-Philippe Penet, Directeur "trade et commerce" et Guillaume De La Forest, analyste de marchés, chez Saipol.

Quelle est aujourd'hui la situation du marché du colza en Europe ?
- Guillaume De La Forest : Alors qu'elle avoisinait les 22 Mt en 2017, la production européenne stagne sur des niveaux très bas, proches de 17 Mt. C'est insuffisant, face aux 23 à 24 Mt triturés. Les imports servent donc de variable d'ajustement. En premier lieu depuis le Canada, premier producteur mondial, qui a orienté son stock vers l'Europe en raison de tensions géopolitiques avec la Chine. L'Ukraine, en début de campagne, et l'Australie, de janvier à juin, permettent de faire l'appoint. En cette fin de campagne 2020-2021, c'est la récolte australienne qui comble le déficit européen.
Cet équilibre européen atteint grâce aux importations est-il pérenne ?
- Jean-Philippe Penet : Il y a une inconnue du côté du Canada, qui s'ajoute à l'incertitude constante sur leur niveau réel de production, seulement connu jusqu'à 11 mois après récolte. La reprise attendue des achats de colza canadien par la Chine, dont les stocks sont au plus bas, réduira le débit de cette source précieuse pour l'Europe. Sachant que les stocks sont bas partout dans le monde.
Une augmentation des surfaces en culture peut-elle favoriser l’équilibre ?
- Guillaume De La Forest : Le contexte de prix va favoriser, pour la campagne 2021-2022, des augmentations de surface importantes, notamment au Canada et en Australie où les semis sont programmés dans les prochains mois. Mais cela ne suffira pas à satisfaire les besoins européens et Chinois. L'Ukraine rencontre des problèmes de sécheresse au semis qui dissuadent les producteurs. Alors que son stock est aussi très prisé par les petits pays importateurs. En France, le contexte de prix en début de campagne 2020-2021 n'était pas encore suffisamment motivant pour orienter la sole à la hausse. S'ajoute l'épisode de gel de ce mois d'avril, qui impacte une partie des fleurs et affaiblit la culture face aux ravageurs. On ne connaît pas l'impact exact sur les rendements. Mais une chose est sûre, le début de campagne 2021-2022 sera très tendu en Europe.
Mais la demande est très dynamique ! Peut-elle contribuer à stimuler les filières de production ?
- Guillaume De La Forest : La demande est là, c'est une certitude. La trituration européenne, directement liée aux besoins en huile, représente un débouché pour près de 24 Mt. L'alimentaire, le biodiésel et maintenant le HVO destiné à l'aéronautique (raffinage simultané du pétrole et des huiles prétraitées[KF1] ) contribuent au dynamisme de la demande. Pour le biodiésel, les objectifs d'incorporation continuent à être toujours plus ambitieux pour les pays qui ne sont pas encore parvenus au seuil des 7 %.
- Jean-Philippe Penet : Il faut ajouter aussi que l'Europe est déficitaire en protéines pour l'élevage et qu'elle doit relever le défi de gagner en autonomie. Rappelons que la trituration du colza apporte plus que de l'huile et que la demande en protéines va aussi en s'accroissant.
Que dire de la concurrence des huiles de palme et de soja ?
- Guillaume De La Forest : Le contexte change. En 2018, l'Europe a consommé 5,3 Mt de biodiésel contenant 2 Mt d'huile de palme et 1,4 Mt d'huile de soja. Une concurrence qui a fait chuter le cours du colza. Mais aujourd'hui, le coup d'arrêt porté aux importations françaises d'huiles à bas coût (400 à 600 000 tonnes d'huile de palme et soja) annonce des lendemains meilleurs pour le colza. L'impact au niveau européen sera important car d'autres pays se mettront progressivement dans notre sillage. On sait en effet que le cadre réglementaire fixe l'interdiction d'utiliser de l'huile palme à 2030. Nombre d'européens anticipent cette échéance. La conjoncture est favorable au colza. La stabilité des débouchés est assurée pour les prochaines années en Europe.
Pouvez-vous relier cette conjoncture au cours du colza et à celui escompté pour les prochaines campagnes ?
- Jean-Philippe Penet : On se rapproche du plus haut atteint en 2012. Cette année et pour les campagnes à venir, si on prend en compte un prix de base élevé, le bonus qualité pour la teneur en huile (+ 7 à 10 %), une prime "rendu usine" à 15 €/t et un potentiel bonus GES de 32 €/t*, le colza s'achète près de 600 €/t "rendu usine" ou plus de 550 €/t départ ferme. Pour motiver les producteurs, il y a les discours, mais surtout la réalité des chiffres.
Ces chiffres parleront-ils aux producteurs français ?
- Jean-Philippe Penet : Tous les espoirs sont permis, avec un niveau de prix qui peut pousser à plus d'audace. La grande inconnue est plutôt d'ordre climatique. Les conditions au semis sont aussi importantes que le prix. Les pluies de fin d'été sont stratégiques. Si la conjoncture est bonne, on peut espérer, après être passé en quelques années de 1,5 million à 900 000 hectares de colza en France, que la sole remonte autour de 1,2 million, et qu’il en sera de même pour les autres pays producteurs.
*valeur maximale au 15/06/2021.